I ♥ bones !

Rien n'est jamais comme dans les films. Pas de décorations, pas de beaux discours, seulement la réalité, en face de nous, la pièce froidement figée dans la lumière de l'aurore. Tout est bleu, terni à jamais, comme abîmé. On ne respire plus, comme si l'air lui-même s'était figé autour de nous pour souligner l'irréalité de l'instant. Aucun bruit ne vient briser le silence léger qui nous enveloppe, ni nos pas sur le parquet, ni nos mains tremblantes qui caressent une dernière fois le rebord d'un meuble, la fragilité d'un livre encore ouvert, le tissu délicat d'une jupe. Dans une sorte d'état second, ils bougent autour de moi, et sans les voir je sais ce qu'ils font, ce que nous sommes tous en train de faire. Est-il possible de regarder jusqu'à s'en crever les yeux, de tant vouloir graver chaque détail, garder définitivement le moindre souvenir, que notre tête finirait par exploser ? Aucun de nous n'aurait su dire s'il s'agissait de la fin, du début, du point culminant, ou bien tout à la fois. Aucun mot ne serait venu à bout de ce déferlements d'émotion, contagieux, que nous sentions jusque dans nos veines... La pâleur de l'aurore qui venait illuminer les grains de poussière en suspension devant nos yeux se suffisait à elle-même. Les pendentifs restaient immobiles, le cendrier ne fumait plus, une chaussure au milieu de la pièce resterait là à jamais, nous l'enjambions sans oser l'effleurer, chérissant chaque détail de la parfaite immobilité dans laquelle nous étions à la fois atrocement déplacés, et parfaitement à l'aise.
Un courant d'air frais nous tira dans un dernier excès de délicatesse de nos pensées, bisant doucement le silence dans lequel une part de nous resterait à jamais.

_ C'est l'heure.

Etions-nous de si petites choses, pour que notre vie entière finisse sur ces deux mots ? Pas de beaux discours, pas d'enjolivures. Il était l'heure, les cinq silhouettes vêtues de noir quittèrent la pièce.